Le clou dans la planche

Le vendangeur de tous terroirs (chronique concert)

Le clou dans la planche - Le 2 mars 2011
Cent cageots de citrons racontaient ton histoire
Des gouttes d'incendie perlaient sur le comptoir.
"La Courneuve", Allain Leprest
 
Les recueillies au pied de la vigne, les sirotées à même le goulot, les planquées en bouteilles dans l’espoir d’un reviens-y : les vendanges de Bacchus – Nicolas de son prénom – grisent un public  acquis depuis plus de dix ans. Trois albums au compteur et un petit dernier dont le semeur de bacchanales faisait hier soir au Bijou, en compagnie des doigts agiles de Lucas Rocher, une sauvage promotion – on lui pardonne volontiers : après Chansons bleues ou à poings, voici La verVe et la joie, qui sent la contrepèterie à plein nez. Après tout, ce n’est pas comme si le bonhomme en était avare.

Réchauffeur de cœur aux petits oignons

Il vendange bien des terres et terroirs, le Bacchus. Y’en aura pour dûment recracher la politique piquette ("Et nous tissions sur un métier à métisser / Entre un av'nir en laisse et un laissez-passer"), pour asticoter les frelateurs de bonne grappe ("A regarder s'affoler les gens… rage"). Y’en aura évidemment, comme il y en a toujours eu sur les coteaux bachiques, pour défendre ceux qui boivent le vin jusqu’à la lie (et vous emmerdent).
Et y’en aura, bien-sûr, pour les amateurs de grands crus, au bouquet plus ou moins fleuri, assurément fruité. Dans ce goût-là : une non-déclaration d’exclusivité amoureuse ("J’ai pas quelqu’un, j'ai quelques-z'uns"), une recette coquine où l’on fait blondir des oignons, des rimes riches pour une chanson que le chanteur entame sur "le démon m’habite"... Allez, amusez-vous : "sous des seaux d'eau miroitant à l'invite". Ah, les délices de la phonétique !
 

« Tu ne vas pas me dire qu’il n’y en a pas un de baisable pour le troisième couplet ? »

Tout passe au pressoir d’un humour sans concession ni complexe, souvent mâtiné d’un flegme désopilant, de gravité parfois. Bref le dosage est trouvé pour un breuvage désaltérant et ravigotant : des morceaux qui allument l’œil, qui rincent le gosier en dépoussiérant les méninges à coups de jeux de mots, à coups de cœur ou à coups de poing – de barre, jamais.
Ce qui est moult sympathique, c’est cette allure de petite bouffe entre artistes que prennent les albums de Bacchus : on y voit défiler, ça et là, les compagnons ou cumjouisseurs de grattes et de paroles fines. De nombreux morceaux sont ainsi le fruit d’une complicité, avec des textes écrits ou emmusiqués par d’autres. Des vivants, plus ou moins familiers du public toulousain : Manu Galure, Juliette, Patrick Font, Allain Leprest ou encore Thomas Pitiot. Mais aussi Feu des messieurs qui écrivirent si bien : des hommages à Brassens, la plume sombre de Vladimir Vissotski et son magnifique "Vol arrêté" ou encore un poème de Bernard Dimey.
Vous y dégusterez ce vin nouveau plein de verve, de joie et plus si affinités de consonnes ; grisés par cette voix profonde vissée à deux guitares, vous reprendrez un gorgeon de quelques millésimes (bijouissimes faudrait-il presque dire, tant cette salle hante la discographie du maître de chai). Une chose est sûre : vous ne cuisinerez plus de filet mignon sans arrière-pensée.

Manon Ona pour
www.lecloudanslaplanche.com

 
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