Bonne humeur

La colle - Chronique de Bacchus sur Canal Sud - Emission Les P'tits Papiers - 2002

Le 20 mars 2002

La colle
J'ai dû me sentir l'humeur légère ce matin, j'ai pensé à tout ce que j'aurai pu vous dire pour un réveil joyeux, pour un lundi matin de presque printemps, presque ensoleillé. Par exemple j'ai un moment frôlé le détournement, pour vous parler non pas de LA colle, mais DU col Mao, surmonté d'un charmant visage, qui a sonné chez moi par erreur et allait, dommage, chez mon voisin hier soir, petit ensoleillement fugitif et bienvenu.
Et puis non, même si ça participe de la même humeur badine, du même bonheur de se balader en sifflant, tête libre et cœur en vrac, cul à l'air et nez au vent si possible, quand on dit "la colle", c'est vraiment pour moi des souvenirs d'école, que ça fait revenir, et, hasard ou coïncidence, ces derniers temps les bouffées de madeleines se sont accumulées dans mes tasses de thé plus ou moins Proustiennes, mais ma phrase s'arrête là quand même.
Je vais donc vous parler de réminiscences, et olfactives qui plus est, car depuis quelques semaines je suis poursuivi par une tête couronnée, et pas des moindres. S'il y a peu de chance qu'on / Détrône le roi des cons, comme chante Brassens, il n'y en a aucune pour qu'on destitue la reine des colles, j'ai nommé Cléopâtre, compagne de nos cartables et de nos petites ivresses de récré. On a beau avoir entendu dire il y a quelques temps qu'elle serait interdite car certains la mangeaient, on ne fera pas sortir de la mémoire de plusieurs générations les délices de cette pâte parfumée dans son pot rond, de la spatule plantée au centre et qu'on plonge ait avec volupté dans la masse visqueuse, de l'étalement aléatoire et du collage plus qu'approximatif qui en résultait, mais quelle importance ? Non, Cléo, nous ne t'oublierons pas, d'autant qu'il suffit d'être malade, de passer à la sécu, ou de faire un peu de cuisine pour que tu nous revienne, plus fraîche que jamais, et qu'on se sente tout rapetissé, renfantisé, gaminiolé. C'est ce qui m'est arrivé à intervalles rapprochés ces derniers jours :
D'abord, le tiramisu, vous connaissez, ce gâteau Italien à base de fromage (le Mascarpone), de café, et de boudoirs trempés. Jusque là, je cuisinais tout ça au rhum, jusqu'à ce que la dame de chez Clara, au marché, me dise : "Non, non, le vrai tiramisu, c'est avec du Marsala, tenez, j'en ai, ça fait 25 €." Ouverture de la bouteille le jour 'J'… Waouh ! Toute la maternelle débarque chez moi, Cléo en tête, tenace, le sourire me vient, et en plus le tiramisu est excellent.
Ensuite, petit soucis de fin d'hiver, petit rhume, et petit corticoïde local en spray dans le nez. Ah, la découverte du Pivalone néomycine ! Là, c'est l'inhalation directe, l'injection au centre même du souvenir que vous m'avez fait vivre, cher docteur. La reine Cléo des Ecoles à l'intérieur de moi. Malgré le rhume, malgré le nez bouché, comment résister à la bouffée de Pivalone néomycine, en pleines fosses, à ce parfum douceâtre de couloirs et de feuilles collées de travers sur mes cahiers dégueulasses et déjà mal écrits ?
Enfin, petit passage obligé à la sécu pour un formulaire quelconque, et là, c'est tout à la fois : le couloir désert, le sol brillant entre lino et carrelage, les néons approximatifs à intervalles aléatoires, les pas qui résonnent, et, au loin, une grosse dame, que dis-je, LA grosse dame, en blouse, qui brique tout ça à la serpillière, mais, … cette odeur qui s'évapore… mais oui, …Cléo encore, impératrice des femmes de ménage socialement sécurisées. Oui, pour ce parfum mousseux, je reviendrai à la sécu, comme d'autres reviennent à Montréal, pour cette odeur écœurante et fade, je parcourrai les couloirs à la recherche des techniciens de surface initiés aux charmes secrets de notre souveraine d'enfance, je salirai des kilomètre de carrelages administratifs afin de voir débouler des escadrons de seaux rempli de ce liquide au nom inconnu qui nettoiera mes boueuses irruptions, mes aussi mes neurones, et balaiera du même coup tout doute qui subsisterait : Oui, Cléopâtre est bien plus musclée que Mr Propre.
Vais-je avouer, pour finir, une petite déception ? Moi qui croyais cette odeur unique, originale, qui ne la sent à nouveau à répétition, du moins qui ne l'identifie que depuis quelques temps, je me suis aperçu de ce que recouvrait la plupart des étiquette dont se pare ma reinette pour arriver jusqu'à moi. C'est tout bête. Amande douce. On pouvait faire plus royal ? Sûrement, mais moi, ma reine des colles, elle a su rester simple, voilà. Elle se présente même pas aux présidentielles, y'a qu'à voir…
Voilà pour ma colle à moi, une petite pensée en terminant pour tout ceux qui restent collés aux grilles quand les puissants sont en train de discuter de l'autre côté, dans un endroit tout petit avec des barreaux autour, certes, mais qui font bien sentir que c'est nous qui sommes le plus enfermés. Vendredi 8 Mars, une trois bus de parents d'élèves et d'instituteurs, 140 personnes en tout, venant de Nantes, ont été collés quatre heures rue de Grenelle, pris en charge par la Police dès l'entrée de Paris où une délégation devait rencontrer le Ministre. Tous les autres se sont retrouvés pendant quatre heures entre deux murs et deux barrières de CRS, après quoi, sans plus d'explications, de nouveau escorte et retour à Nantes. Quant à la quinzaine de bus arrêtés à la frontière Espagnole Vendredi dernier, en violation totale des accords de Schengen, ils ont été plus médiatisés, mais ne les oublions pas quand-même, sitôt annoncé, sinon zappé. Nos décideurs se réunissent sous leurs moustiquaires modernes et géantes, laissant bourdonner la contestation derrière les dernières toiles libres, et en espérant qu'on ne s'aperçoive pas trop tôt que s'ils nous font jouer le rôle des mouches, c'est qu'ils se réservent celui de la merde.
La libre circulation des personnes en Europe est visiblement plus lente à venir que celle du fric, comme est plus lente d'ailleurs la mondialisation des idées ou celle des médicaments.
On s'y colle ?
Nicolas BACCHUS

 
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