Mauvaise humeur

PA(C)S DE VAGUES - Baratin entre deux chansons - Septembre 2000

Le 1 septembre 2000

Bon, le Pacs ; bien emmerdé, avec ce Pacs. D'accord, ça y est, on l'a (enfin : ils l'ont), on l'aura assez débattu, défendu, on aura à peu près tout entendu, mais maintenant, voilà, j'ai l'impression qu'on ne va plus pouvoir gueuler sur la non reconnaissance, l'isolement, les difficultés de certains homos, le rejet et l'homophobie qui restent, sans se voir opposer ce sacré Pacs, genre : "on s'est occupé de tout, c'est réglé, on n'en parle plus."
Mais ça servirait pas justement un peu à ça, à pouvoir dire au bon peuple :"c'est fait, réfléchissez pas plus, la mer est calme, pas de vagues"? Ça servirait pas aussi à fabriquer du bon pédé, comme on a fabriqué du bon nègre, dans le cinéma américain par exemple ?
Et si y a des bons, y a des mauvais, il faut bien qu'il reste quelqu'un sur qui taper. Vous savez, le marginal, l'expulsable, ou à la rue, ou sans ressources, mais que c'est de sa faute, il avait pas signé.
Et alors, ça te rassurerait, que je sois pacsé ? Eh ben, non ! Je reste tête libre et cœur en vrac. Nez en l'air et cul au vent, j'en profite pour chier au passage et sans me défroquer sur ta reconnaissance dont je n'ai que foutre. Ma liberté, ce n'est pas mendier les permis de liberté que tu m'accordes du bout des lois (je suis pas Corse ou Breton). Ma liberté, c'est me sentir libre. Libre entre autres de rester à tes yeux un monstre, au sens premier, celui qu'on montre. Cortazar dit qu'il n'y a qu'un seul moyen de tuer les monstres, c'est de les accepter. Et je crois qu'on est encore quelques-uns uns à préférer vivre…
Quant aux autres, les monstres morts, ceux à qui je reproche d'intégrer des modèles hétéros, familiaux, etc… au lieu de se servir de leur originalité pour être un peu subversifs, ils me rétorquent que c'est moi qui reste engoncé dans les pires stéréotypes homos. Stéréotype ? Et si, musicalement comme humainement, si je préfère être stéréo-types que monogame ?!
Poli, correct, et pacsé, bien habillé parce qu'on ne se refait pas, le pédé raisonnable ne rêve que d'être un hétéro comme les autres, au lieu de se permettre de dire, vie à l'appui : "Eh ! Du bateau ! Y'a autre chose ! Contrat, couple, famille, maison, prêt à 7 %, fidélité, p'tit chien, jalousie, mensonge, divorce, partage, y'a autre chose ! On essaye ?" Mais non, on n'essaye pas, pas la peine, pas de vagues, y'a le Pacs.
Alors, bien sûr qu'il le fallait, qu'on s'est battu pour, que ça a donné l'occasion de voir qui il y avait vraiment en face, bien sûr que les minoritaires ont toujours eu besoin de ramasser d'abord quelques miettes avant d'espérer une vraie part du gâteau…
Mais votre Pacs a le goût des mers calmes de ceux qui sont sur le bon bateau, ceux qui font les lois et qui ont besoin, pour flotter au-dessus, de toutes ces gouttes d'eau bien uniformes, bien semblables, dont on fait les océans et les peuples soumis.
La mer est calme ? Pas de vagues ? Mon cul. Mes désirs sont vos désordres, mon souffle une bise, qui gonfle les voiles d'aventure des peaux que JE choisis, et vos mers NE SONT PAS calmes, et IL Y A des vagues, des vagues de plaisir, qui nous noieront, peut-être, mais vivants.
Eh ! Du bateau ! vous croyez rester longtemps au sec au-dessus de vos gouttes d'eau toutes pareilles ? Vous croyez qu'on va rentrer comme ça dans le rang ? Avant de s'y fondre, on sera tout ce qu'il est possible d'être, pluie, grêle, neige, ouragan, grosse goutte d'orage ou crachin pénétrant, toujours imprévisible par vos météos, partout inattendu. Et s'il faut rejoindre la masse, que ce soit seulement au moment de s'abattre ; là, on sera tout à fait pareils.
Eh ! Du bateau ! Vous ne dominez qu'une mer de cadavres !
Mourir est le seul moyen de se ressembler vraiment. Alors là, oui, pas de vagues, faites pas chier avec vos dieux, paradis ou enfers. Vos gueules, les mouettes -et les corbeaux pareil- la mer est calme.
Pas de vagues…
Nicolas Bacchus
P.S. : Sur la mer étale, ou entre deux eaux, un peu de plastique oublié. Un peu de plastique oublié, un peu de sang prisonnier, et l'attente. Longue. Un peu comme pourrait être une vie sans SIDA.

 
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